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Espace privé SPIP

Jean-Charles de Quillacq

Matière à représentations

La pulsion scopique de Pierre Louys l’avait conduit à photographier toutes les femmes avec lesquelles il avait fait l’amour. Ces images d’une grande sensualité mettaient en forme une représentation de l’intime encore jamais codifiée. Il se dégage des travaux de Jean-Charles de Quillacq une sensualité comparable. Non pas que des corps offerts y soient particulièrement représentés, disons plutôt que, si une peau est exposée ici, ce serait celle des images. On pourrait donc aborder le travail de JCQ comme une recherche qui s’effectuerait principalement à la surface.
Utilisant indifféremment des tirages photographies ou la photographie de photographies assemblées numériquement, JCQ souligne que l’espace physique d’une image est un espace de représentation. A ce titre, les altérations produites à sa surface, bien que physiques, sont comme confondues avec leur propre apparence comme le sont les ratures faites au stylo d’Under my skin. Cette ambivalence du signe et de la trace oblige celui qui regarde les pièces de JCQ à se méfier sans cesse des apparences [1]. Ironiquement, Plus, une bouteille de shampoing volumisateur colorée évoque, telle une vanité, la promesse faite au consommateur, de cheveux gonflés qui sont implicitement des signaux sexuels efficaces.. La dégradation superficielle est un procédé récurent dans le travail de l’artiste. Ainsi, à rebours des dispositifs de présentation classiques qui cherchent à mettre en valeur tout en la protégeant la face illustrée d’une représentation, les sculptures Photos & fimo se construisent autour une image collée face contre le plateau d’une table recouverte de pate polymère. Dans chacune des occurrences qui constituent cette pièce, l’impression jet d’encre est en grande partie oblitérée par le plateau et il est évident qu’à tenter de les désolidariser, on sacrifierait le contenu de l’image en partie retenue par l’adhésivité de la pate. Ce sacrifice, est au centre d’une pièce intitulée Perfect mask. Appliquant à l’image un geste cosmétique, celui d’une épilation à la cire, JCQ prélève la couche chargée de pigments au moyen de la surface collante de morceaux d’adhésif qu’il expose ensuite. L’analogie entre l’épiderme et la surface d’une photographie est ailleurs soulignée par la récurrence d’orifices : la représentation d’un objet au travers duquel le regard passe (Rainbow deux trous, Daurade,… ). Hors, que trouent ces orifices sinon la surface de l’image qui les figure ? Dans le même ordre d’idées, c’est aussi l’une des façons de comprendre l’ouverture dont il est question dans la pièce Quillacq ouverte [2] ?
En filant cette métaphore de la peau, on pourrait aussi réaliser qu’avant de confronter des fragments de représentation sur le mode dialectique les collages de JCQ (Les bords –diaporama, Sophie Favier) visent principalement à mettre des surfaces en contact [3] . Ce point de vue confère une tactilité à des matières qui ne sont que représentées. Cette idée de la surface comme élément de contact inspire aussi plusieurs sculptures qui s’articulent sur des effets de proximité. Challenge Nathalie & The Imitation se touchent ainsi en plusieurs points tant et si bien que leur étreinte rend indistincte leur individualité. Placées contre le mur, elles imposent une lecture frontale de leur structure qui souligne l’importance des connexions pour l’équilibre du tout [4] .
Autre similarité avec l’épiderme, les pièces de JCQ réagissent à leur environnement. Réalisées dans le contexte d’une exposition (Marbourg devenue IVS IVS), il n’est pas rare qu’elles se modifient pour s’adapter à un changement de contextes. Gabbo montre ainsi des reproductions de la pièce Photos & fimo empaquetée dans du plastique bulle, la structure de la pièce reste reconnaissable mais l’enveloppe protectrice qui la recouvre ainsi que le fond abstrait sur lequel elle se détache ne laisse apparaitre qu’un empilement de formes comme recouvertes de leurs mues.

« La peau des images », la métaphore peut être d’un lyrisme pesant mais elle invite néanmoins à une expérience partagée par tous : celle de l’épiderme. Cette expérience qui fait que, lorsqu’on se regarde dans un miroir, on ne regarde pas un organe, on se regarde soi-même.

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[1Qui dit surface parle aussi d’apparence, hors, le travail de JCQ ne se laisse pas aller à une pure superficialité des apparences

[2Pièce constituée d’une affiche du film La gueule ouverte de Maurice Pialat que JCQ a recouvert de peinture blanche pour ne laisser visible que le mot « ouverte » surplombé de son nom.

[3Il est aussi question de contact avec la peau lorsque JCQ imprime des images sur l’envers de t-shirt (Challenge Nathalie).

[4Les forces qui maintiennent ces structures debout renvoient par ailleurs aux performances pendant lesquelles l’artiste porte des images à bout de bras (Spectre Citron, Marbourg) soulignant ainsi leur matérialité.