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Espace privé SPIP

Brigadoon

Commissaire : Céline Poulin

Artistes : Marie Bette, Alicia Frankovich, Alexis Guillier, David Malek, Alexej Meschtschanow, Aurélien Mole, Mélodie Mousset, Aude Pariset, Pierre Paulin, Walter Pfeiffer, Marie Preston, Tony Regazzoni, Sébastien Rémy, Soraya Rhofir, Rita Sobral Campos, Robert Stadler, Derek Sullivan, Florian Sumi, Claudia Wieser.

Exposition présentée du 13 septembre au 7 décembre 2013 à la Tôlerie, Clermont-Ferrand.


Dans son livre Cendrillon, Eric Reinhardt fait l’ode de deux films Brigadoon (Vincente Minnelli, 1954) et Le trou (Jacques Becker, 1960) pour décrire une expérience esthétique fondamentale, existentielle, à l’origine de la construction de sa réalité. Les protagonistes des deux films vivent de manière à la fois similaire et symétriquement opposée un rapport à l’image, à sa pénétration et son appréhension, dont découle l’exposition Brigadoon.
Le héros de Brigadoon, joué par Gene Kelly, a accès à une expérience inédite, il découvre un hameau victime d’un étrange sortilège, n’apparaissant seulement qu’une journée tous les 100 ans. Notre héros rencontre dans ce village magique l’amour de sa vie, une jeune paysanne d’un autre siècle, incarnée par Cyd Charisse, et décide de la suivre dans cet univers autre. Comme Alice, il traverse le miroir et passe de l’autre côté. A l’inverse, les prisonniers du Trou creusent patiemment un tunnel vers un ailleurs qu’ils n’atteindront jamais. Le souterrain débouche de nuit au pied d’une ville illuminée qu’ils regardent émerveillés, comme derrière un écran ; il n’y a qu’un pas entre eux et ce monde qu’ils observent et qui ne restera à jamais qu’un fantasme. Comme l’écrit Eric Reinhardt, les protagonistes des deux histoires se trouvent face à un accès à l’image de leurs rêves. “L’instant. La magie. La vision. Un passage vers la liberté. S’introduire dans la vision. Un passage vers l’éternité. Un passage vers l’amour. Un passage vers la lumière.”

Le personnage de Brigadoon accomplit-il l’expérience ultime, découvre-t-il son idéal avec qui il va faire corps ? Rentrer dans une projection peut amener à ne plus distinguer le réel du rêve. Le choix pourrait être de refuser les tentations de l’artifice, considérant Brigadoon et ses décors de carton-pâte comme une vulgaire mise en scène. Il s’agirait alors de rester dans la quête, bien élaborer les contours du trou qui nous mènerait à l’image, le circonscrire, pour rendre visible le mystère de l’image elle-même. Néanmoins, pénétrer et analyser l’image reviennent pareillement à la considérer comme voie d’accès à un savoir, une connaissance du mystère du réel, ce mystère que Lacan appelle justement le “trou” et que l’artiste est peut-être le mieux placé pour approcher. C’est pourquoi ce projet décline les deux directions différentes d’une conception unique de l’image comme accès à une forme de savoir, qu’il soit réel ou non. D’un côté il dévoile la réalisation du fantasme, le corps à corps avec l’image, que ce soit pour une contemplation béate ou la mise à nu de son décorum, dans une vision totalisante proche du cinéma. De l’autre, il cherche la circonvolution du mystère, vu de loin, en perspective, laissant place au doute, utilisant l’ellipse pour la production du récit, dans une vision plus fragmentaire liée à la pratique du collage ou de la navigation numérique.

Le projet s’incarne tout d’abord à La Tôlerie où les œuvres flirtent avec la frontière de leur matérialité, interrogeant leur nature propre et leur réalité, donnant à voir leurs codes et leur construction interne. Ouvertures vers un ailleurs, mises en scènes du corps ou encore tentatives de pénétration du visuel, les œuvres jouent le jeu de leur figuration, devenant elles-mêmes des éléments d’une image globale.
Brigadoon prendra également la forme d’interventions à l’école des Beaux-Arts de Clermont Métropole : Sébastien Rémy présentera sa conférence a shadow was seen moving in that window autour de la figure du reclus et de l’espace domestique envisagé comme lieu de retrait et de pérégrinations mentales ; Alexis Guillier y poursuivra son projet Twilight Zone interrogeant les frontières entre matérialité et fiction, le passage effectif dans une sorte de quatrième dimension.
Un espace numérique, à la fois surface étendue de l’exposition et œuvre de Sébastien Rémy, offrira une autre lecture au projet en présentant des cartes postales numériques de l’exposition, une extension des conférences, des créations spécifiques de certains artistes et des élèves suivant le workshop. Le rapport à l’image virtuelle et fragmentaire est une facette essentielle de la problématique générale, il nécessite une autre "mise en scène" que le médium exposition. Version existante de « la porte distran » ou de la « stargate », cet espace virtuel permettra de jouer sur les notions de production 3D, d’appropriation, de relecture et d’interprétation de l’image.

Céline Poulin