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Espace privé SPIP

Théorème

Guillaume Constantin, John Cornu, Vincent Dulom,Vincent Mauger, Aurélien Mole,Jean-François Leroy,Paul Raguenes

Du 10 juin au 30 juillet 2010

Galerie Bertrand Grimont


La Science des Matériaux a permis de pousser toujours plus loin l’analyse de la matière, au point de parvenir à en reconstituer la structure, jusque dans ses moindres détails, aux moyens de combinaisons synthétiques toujours plus élaborées. Pour autant, c’est moins dans la perfection des atomes constitutifs de la matière que dans sa marge d’imperfection, dans ses défauts structurels, que réside depuis toujours l’intérêt des scientifiques. La conjonction d’éléments antagonistes, loin de répondre à une logique mathématique de l’addition, entraîne un phénomène de précipitation durant lequel les molécules en jeu se cristallisent pour former une structure nouvelle que les chercheurs désignent par sédiment. Autrement dit, la capacité irrévocable de la matière à se transformer pour passer d’un état à un autre.

L’exposition proposée à la Galerie Bertrand Grimont ne répond pas à une question clairement formulée dont elle en serait l’illustration. Fonctionnant sur un mode d’affinités électives, le choix des œuvres constitue moins le scénario d’une exposition qu’il évoque une structure moléculaire, à partir de laquelle le réel est mis à l’épreuve du regard, dans une suite d’œuvres souvent contextualisées dont chaque élément éclaire le suivant. S’il faut trouver un point nodale autour duquel se déploie cette constellation de pratiques singulières, c’est sans doute dans l’intérêt commun des artistes pour la matière (physique ou picturale) et la manière dont ils parviennent à en développer un nouvel usage en élaborant des modalités qui leur sont propres. Détournements, combinaisons inhabituelles, reconstitutions, simulacres sont autant d’approches qui permettent à des matériaux en apparence familiers, d’être reconsidérés dans une forme temporairement cristallisée.

À ce titre, une pièce centrale d’Aurélien Mole, La structure du cristal, pourrait servir de point d’entrée dans l’exposition. En reproduisant sur calque une photographie représentant les vestiges du Crystal Palace construit pour l’exposition universelle de Londres en 1851, l’artiste se joue de l’appropriation des prémisses d’une modernité architecturale fondée sur la transparence, en accrochant, en vis-à-vis, l’image et son revers, comme dans un effet miroir opposant l’image à sa représentation. De la même manière, les Verticales de John Cornu déposées contre le mur de la galerie, évoquent les vestiges de tasseaux carbonisés sans en être réellement, l’artiste ayant pris soin d’en reproduire les effets de manière artisanale, en taillant le bois à l’aide des outils propres à la sculpture. La suite d’éléments, à la fois conçue selon un même principe d’érosion et cependant à chaque fois différente, échappe ainsi à tout phénomène de normalisation. Dans cette reconstitution artificielle du processus naturel de la combustion, se joue une sorte de mise en scène dont on peut en retrouver d’autres formes dans les œuvres de Guillaume Constantin. Avec Everyday Ghost, l’artiste s’attache à révéler le potentiel poétique des éléments du quotidien — en l’occurrence ici, d’une simple rallonge électrique. L’énoncé, reproduit par la torsion du fil électrique, évoque une pratique récurrente de l’art contemporain qui a fait de la réappropriation du néon (principal constituant de la communication commerciale) une catégorie à part entière.

De manière liminaire, le fil conducteur — et du courant et du message — s’achève sur le simulacre d’une bougie à la flamme vacillante.

Pour Dracula Mountain, il photographie le socle d’une bouteille d’eau en plastique, révélant ainsi un paysage de montagne, énigmatique, dont on ne saisit pas tout de suite l’origine. Comme par ricochet, la pièce de Vincent Mauger figure cette fois une topographie indéterminée, proche d’une modélisation informatique du paysage, constituée de courbes et d’alvéoles, à ceci près qu’elle a été taillée dans une structure en polystyrène habituellement utilisée pour protéger des bouteilles. Entre l’imagerie de synthèse et les matériaux synthétiques, se construit un double langage de la forme sur la matière employée, contredite par le procédé d’exécution.

Si la plupart des pièces ne dévoilent pas leur process, d’autres au contraire laissent apercevoir les strates d’un assemblage de couches successives que l’artiste choisit, à un moment donné, de stabiliser. Ainsi la sculpture, Archichrome de Paul Raguenes, comme l’installation Module / Etagère de Jean-François Leroy, composent à partir de matériaux hétérogènes une forme momentanément ou définitivement figée dont on peut néanmoins distinguer encore chacune des couches. L’association, chez l’un comme chez l’autre, de matériaux relevant d’une esthétique du chantier (tasseaux de bois brut pour le premier, plaques de BA13 pour le second), et le choix d’une finition soignée par l’utilisation du verre ou d’une peinture laquée pointe leur capacité à mettre en perspective des forces contradictoires, dans un jeu perceptif réfléchissant qui brouille le rapport de l’œuvre à l’espace. À l’instar du travail de Leroy, utilisant la peinture dans une forme installée pour mieux révéler la forme sculpturale, celui de Vincent Dulom, renvoie la peinture (dans sa production numérique) à ses potentialités sculpturales. L’aura diffuse qui constitue L09052103, rend impossible toute fixation du regard, soumis au brouillage d’un halo coloré toujours changeant. Paradoxalement, c’est par l’effet gazeux de la technique d’impression par pulvérisation d‘encre qu’il parvient à nous suggérer la possibilité d’une forme solide, tour à tour convexe ou concave, que le regard concourt à précipiter. La réalisation d’une peinture assistée mécaniquement par le biais d’outils de reproduction mécanique vient déjouer les thèses de Walter Benjamin sur la déperdition que la technique imposerait à l’œuvre authentique.

Comme pour pallier l’absence de toute figure humaine dans une exposition qui par ailleurs est exclusivement masculine, Up by hole d’Aurélien Mole, discrètement installée au fond de la galerie, présente la reproduction d’une affiche de Pin-up réalisée à l’aide d’un sténopé . Au-delà de la boucle tautologique que forme le sujet avec la technique employée (les deux termes renvoient à deux usages d’un même outil : pour épingler l’image sur un mur d’un côté, pour laisser passer la lumière de l’autre), l’image plutôt sexiste que la Pin-up renvoie de la femme, est renversée par le statut même du sujet, rendu actif par l’appareil photographique qu’elle pointe sur celui qui la regarde.
Christian Alandete