Véronique
Une Exposition de Julien Carreyn et Aurélien Mole
8 février - 18 mai 2019
FRAC Poitou-Charente
63 Bd Besson Bey | 16000 Angoulême
avec Rogi André | Harry Callahan | Arnaud Claass | Marc Deneyer | Robert Doisneau | Trisha Donnelly | Patrick Faigenbaum | Bernard Faucon | Peter Fischli & David Weiss | Michel François | Lee Friedlander | Anne Garde Luigi Ghirri | Jan Groover | Florence Henri | Peter Hujar | Manuel Ismora | Michel Journiac | Benoît Maire | Willy Maywald | Francis Morandini Yan Morvan | Jean-Luc Moulène | Jean-Luc Mylayne | Bernard Plossu August Sander | Émile Savitry | Josef Sudek | Didier Vermeiren | Willy Zielke
collection FRAC Aquitaine, FRAC artothèque Nouvelle-Aquitaine Limousin, FRAC Poitou-Charentes
et œuvres inédites de Aurélien Mole et de Julien Carreyn
A.M. : Parmi les multiples façons de puiser dans une collection pour réaliser une exposition, la plus évidente reste la coupe thématique qui permet de générer des corpus cohérents et facilement compréhensibles. L’ennui est que ce dénominateur commun écrase souvent les éléments sous le poids de son univocité. La coupe théorique polarise quand à elle chaque unité dans la direction de la thèse à démontrer. La coupe formaliste, la coupe catégorielle, la coupe esthétique… autant de façons de figer le foisonnement d’une collection le temps d’une exposition.
J.C. : Flâneur, je sors une ou deux fois par mois voir les expositions, mais j’en vois beaucoup moins qu’Aurélien : outre son travail d’artiste et commissaire, il sillonne les galeries et institutions françaises pour réaliser les vues d’expositions, ça ne m’étonnerait pas qu’il en visite une vingtaine par semaine. Je vois souvent passer ces images partagées sur internet par les sites des galeries. Elles suivent un protocole strict : essayer de voir la galerie déserte, mais à hauteur d’yeux du spectateur. Le genre « vue d’exposition » est devenu aujourd’hui un élément indispensable d’archivage et diffusion des évènements artistiques, partout dans le monde, ayant même une influence certaine sur les pratiques et les réflexions des artistes contemporains. Un jour j’ai filmé une médiatrice seulement vêtue d’une montre présentant une exposition de Benoît Maire à la galerie VNH, sans enregistrer le son. J’ai poursuivi cette idée dans d’autres galeries, avec des spectateurs et médiateurs nus, déambulant sous les néons des white cubes, parmi les œuvres exposées.
A.M. : En voyant ce travail, je me suis demandé quelles photographies issues des fonds des FRAC Aquitaine, Limousin et Poitou-Charente nous aurions envie de voir à proximité de nus féminins et masculins qui pourraient aussi les manipuler le temps d’un accrochage ? Comment des nus pourraient parasiter ou enrichir d’autres images ? Comment, au travers de corps portant des photographies on peut finalement évoquer les notions de poids, de goût, de politique, de textures, de sens… Comment des corps enfin viennent hanter une exposition car, même si elle est souvent figurée vide dans ses représentations les plus canoniques, il y a toujours des corps qui la traversent. Il y a le corps de ceux qui accrochent les expositions et il y a le corps de ceux qui les visitent. Une exposition au sens classique du terme, c’est in fine le rapport d’un corps à une œuvre dans un espace.
J.C. : C’est sans doute la nature curieuse d’Aurélien qui l’a poussé à me proposer de concevoir avec lui cette exposition au Frac Angoulême.La commande qui lui était passée était simple, je crois qu’il s’agissait de rechercher dans les fonds de trois Frac des photographies à exposer. Nous avons commencé ainsi à explorer sur les sites de ces institutions des images et des images… Avant de nous retrouver, équipés chacun du pdf de nos sélections respectives. Nous avions de nombreuses images en commun, dont le dénominateur est, pour reprendre une définition d’Aurélien, le caractère centripète.
A.M. : Le choix des œuvres photographiques placées dans cet espace est pour la quasi-totalité, un ensemble d’images au premier degré. En effet, si certaines photographies sont centripètes et d’autres sont centrifuges, dans la première catégorie, on comptera celles qui ne renvoient qu’à elles mêmes. Des images qui s’étonnent de la capacité du medium à pouvoir matérialiser en deux dimensions la profondeur et la vitesse du monde. Dans la seconde catégorie, celle des photographies centrifuges, c’est l’inscription de la photographie en tant que medium dans le champ des arts autant que du document qui intéresse ceux qui la réalisent.
J.C. : Cette sélection, entièrement réalisée par l’intermédiaire de fichiers numériques, posait néanmoins un problème de taille : Les différents encadrements, pas toujours très bien choisis, pour des images qui pour la majorité datent d’une époque ou ce paramètre n’était que rarement dans les préoccupations de l’artiste. Nous avons décidé que les cadres seraient posés sur une longue réglette dessinée par Aurélien.
A.M. : La raison qui justifie ce mode d’accrochage est avant tout pratique : en choisissant des images dans les fonds des FRAC, nous choisissons à nos corps défendant des cadres. Ces encadrements sont parfois murement réfléchis mais le plus souvent ils ne sont que le reflet d’une convention et sont par conséquent à la marge des images comme un socle blanc est à la marge d’une sculpture. En réunissant des images d’époques et de provenances différentes, la diversité des encadrements saute aux yeux. Pour pouvoir présenter les photographies retenues sans avoir à les éloigner sur les murs pour atténuer l’effet des cadres, le dispositif de la réglette, un dispositif que tu utilises souvent, est idoine. N’étant plus accrochées mais simplement posées, les photographies sont toutes renvoyées à leur matérialité : ce ne sont plus des images mais des objets. Par conséquent, elles ont un poids, un grain, une texture. Cela souligne les qualités du tirage en tant qu’incarnation de l’image dans une matière.
C’est cette incarnation particulière de la photographie qui a guidé l’ensemble des étapes de Véronique, du choix des photographies dans les fonds à leur présentation suite à un accrochage en présence des nus.
Peut-être ne restera t-il de ce moment de proximité entre des corps et des images qu’une série de photographies d’un onirisme chic et désuet, des souvenirs d’une rencontre entre le grain d’une image et celui d’une peau ? Mais choisir des images en pensant à des corps c’est faire le pari que l’on peut concevoir une exposition sans en passer par les mots : ou chacun peut se risquer au contact des images.
Quoi qu’il en soit, cette exposition sera réalisée sous le haut patronage de Sainte Véronique, patronne des photographes que l’iconographie classique représente sous les trait d’une femme tenant entre ses mains un drap sur lequel l’image du visage du Christ s’est miraculeusement formée : un corps tenant une image.